Il y a, dans un recoin du fort, un film en stop motion, ce mode de prise de vue image par image qui peut animer un matériau malléable (pâte à modeler ou autre), ou comme dans le cas présent, jouer avec des extraits du réel, et qui par-delà l’origine des images, au lieu du mode familier de la continuité, mise sur la discontinuité, la saccade des métamorphoses et des mouvements, et du même coup, choisit de faire voir son procédé.
Par les craqûres de ce mode hoquetant on entre dans le tremblement d’un rêve : une maquette du fort qui croît brique après brique, le gantelet d’une armure qui attrape un haubert, – « tissu de mailles annulaire » selon la définition – et, selon l’imaginaire que cela nous suggère, hommage à l’enchevêtrement autant qu’à son inaccessible point de fuite… Voyez encore ces pierres, elles ont la bougeotte, ces lueurs dansantes, grotesques ou cosmiques, qui courent sur les murs – « Des clartés en chantant passent, et je les suis » (Victor Hugo, Virgile) – , ces portes qui tergiversent, ouvertes par un souffle mystérieux qui les ferme aussitôt !
Au fil de cette poésie fugitive, le film raconte l’exploration nocturne du fort, non seulement par les tours et détours d’un montage proliférant, mais par une galerie de sons, la plupart enregistrés sur place, du plus sourd au plus aigu, raclements, bruits de parquet, du sol en pierre, grincements de portes ou caresses sonores qui évoquent aussi bien le visiteur virtuel que les fantômes qu’il aurait croisés.
S’ajoutant à la projection dans la salle dite du four, ce que recèle la chambre des gradés nous incline à évaluer combien le dispositif d’installation instauré par Hervé Bacquet navigue dans l’intermédialité qu’on définira ici opportunément comme l’enchevêtrement des médiums. Non seulement un lien secret fonde, à n’en pas douter, la disparité de ceux qui sont juxtaposés en l’occurrence, mais, de manière patente, ils visent communément l’appropriation du lieu minéral qu’est ce fort rustique creusé dans la roche qui porte trace de la vie ancienne dès les fossiles incrustés dans le noble matériau de la pierre, et qui bruisse aussi des cris, des chocs de combats oubliés.
Et c’est le peuple du lieu, un haut lieu non seulement par sa position sublime, mais par son histoire, que le film et l’installation évoquent dans un entre-deux du ressenti et de la manipulation créatrice.
Pas d’histoire sans géographie : un panorama unifiant des fragments du paysage où le fort se love, mêle au mouvement circulaire qui, dans les rotondes, attire l’œil vers la tromperie consentie, l’abstraction du dessin, la singularité du coup de crayon, le témoignage d’une autre vision. L’exposition comporte aussi, reposant sur une parabole en bois, un tondo où un dessin en graphite, mêlant le fin au gras, figure un champignon aussi bien que les méandres du fleuve.
Hervé appartient à ce « mystérieux genre d’homme » qu’est pour Walter Benjamin le collectionneur, celui qui déballe sa bibliothèque et que l’amateur de l’image dialectique où frotte les contraires taxe de vieillard enfant. Au lieu du livre ancien, en l’occurrence, c’est une étagère noire où sont rangés silex et champignon d’arbre récoltés çà et là, exhibant le mystère d’un art brut spontané, évoquant aussi les âges géologiques ou la vie ralentie de la nature.
Dominique Chateau
mai 2022
In a far corner of the fort, there is a stop motion film, an image by image mode which can animate a malleable material (modeling clay or other), or, like here, is made of extracts of reality ; beyond the origin of images, instead of the familiar mode of continuity, this kind of film is based upon discontinuity, jerky metamorphoses and movements, and therefore, chooses to make its process visible.
Through the breaks of this hiccupping mode one enters the tremor of a dream: a model of the fort growing brick by brick, the gauntlet of an armor catching a hauberk, – “ring mesh” according to the definition – and, depending on the suggested fantasy of images, an homage to the entanglement as much as to its unreachable vanishing point… See again these stones, they are stirring; see these dancing lights, grotesque or cosmic, which run on the walls – « Singing lights are passing by, and I follow them », (Victor Hugo, Virgil) – see these dithering doors, opened by a mysterious breath which closes them at once!
Through this fleeting poetry, the film tells the story of the nocturnal exploration of the fort, not only through the twists and turns of a proliferating editing, but also through a gallery of sounds, most of them recorded on the spot, from the most muffled to the most acute, scrapings, noises of the parquet floor, of the stone floor, creaking doors or sonorous caresses that sound like the virtual visitor as well as the ghosts he would have met.
In addition to the screening in the so-called oven room, the officers’ room shows an apparatus of installation that leads us to measure how deeply it navigates within intermediality, that we will define here opportunely as an entanglement of mediums. Not only the disparity of the mediums juxtaposed by Hervé Bacquet in the place, grounds, without any doubt, on a secret link, but, in a patent way, these mediums commonly aim at the appropriation of this mineral place, a rustic fort dug in the rock. And by the fossils encrusted in the noble material of the stone, this rock carries traces of the ancient life, while the place rustles of the cries and the shocks of forgotten fights.
The film and the installation evoke, in an in-between of feeling and creative manipulation, the people of this place, a high place not only by its sublime position, but by its history.
There is no history without geography: a panorama unifying fragments of the landscape where the fort nestles, mingles with the circular movement that, in the rotundas, attracts the eye towards the consented deception, the abstraction of the drawing, the singularity of the pencil stroke, the testimony of another vision. Hervé’s exhibition also includes, resting on a wooden parabola, a tondo where a graphite drawing, mixing the fine to the fat, figures a mushroom as well as the meanders of the river.
Hervé belongs to this “mysterious kind of man” that is for Walter Benjamin the collector, the one who unpacks his library and that this amateur of the dialectical image where the opposites rub each other would call an old child.
In this case, instead of ancient books, on a black shelf are arranged flints and tree mushrooms collected here and there, exhibiting the mystery of a spontaneous outsider art (art brut: litteraly raw art), also evoking geological ages or the slowed life of nature.
Dominique Chateau